dimanche 3 février 2008

Transfer! (une pièce de Jan Klata)

De passage à Bruxelles, j'ai profité de l'occasion pour voir un spectacle inédit de passage en même temps que moi. Au Kaaitheater, dont la programmation et l'espace-bar sont bien sympathiques.

Transfer! est une pièce co-produite par un théâtre berlinois et le théâtre de Wroclaw, une ville du sud de la Pologne, allemande sous le nom de Breslau avant la seconde guerre mondiale. C'est une création d'un jeune metteur en scène polonais aussi talentueux et innovateur que polémique et lunatique, Jan Klata.

Le spectacle est courageux et original à plus d'un titre: il met en scène des acteurs non professionnels dont certains sont agés, il se déroule en allemand et en polonais, il raconte la seconde guerre mondiale vécue côté vaincu et côté vainqueur, de part et d'autre d'une frontière particulièrement disputée. Ce qui, même 60 ans plus tard, est loin d'être évident. Ni en Pologne, ni en Allemagne, et encore moins dans le cadre d'un spectacle monté ensemble et joué de part et d'autre. Ambitieux mais casse-gueule. De surcroît, un spectacle en deux langues, surtitré dans deux autres, français et flamand sur des écrans de chaque coté de la scène (il n'y a qu'en Belgique qu'on peut voir une chose pareille!). Potentiellement risqué et assez indigeste, donc.

La pièce fait intervenir des "témoins" qui racontent une juxtaposition d'histoires vécues, ou plutôt de souvenirs de leur vie pendant la seconde guerre mondiale. Ils ne jouent pas un rôle, mais racontent "leurs" histoires passées au filtre d'une sélection et d'une légère réecriture dramaturgique. Les personnages nous font donc revivre leur vie en temps de guerre en intervenant tour à tour. On suit leur devenir au travers d'anecdotes et de récits du quotidien. L'un est résistant, l'autre une sympathisante ordinaire du régime nazi. Autant de Polonais que d'Allemands. En parallèle, dans un tableau décalé, trois acteurs jouent une évocation de la conférence de Yalta où entre autres discussions futiles, Staline, Churchill et Roosvelt redéfinissent les frontières de l'Allemagne et de la Pologne. Le titre fait référence aux déplacements de population que les modifications de frontières ont entraînés.


Alors bien sûr les "acteurs" ne sont pas complètement à l'aise sur scène, leur expression n'est pas celle d'un comédien professionnel. Mais cela fait partie de la mise en scène centrée sur la vie des gens ordinaires en période trouble. Au final le tout est plutôt bien ficelé, on suit sans trop de peine, et on apprécie. C'est émouvant de spontanéité et de réalité. Une grand-mère polonaise qui énumère les habitants de son village qui sont partis, polonais ou ukrainiens, pendant de longues minutes. Un vieillard qui raconte son engagement dans l'armée de la Pologne libre, sa prestation de serment en vacillant sur ses béquilles. Une allemande qui raconte son éblouissement d'enfant pour les jeunes filles aux tresses et aux robes impeccables des jeunesses hitlériennes. Ceux qui racontent la cohabitation avec l'occupant allemand ou russe.

Ce n'est qu'au troisième salut que l'on voit leurs visages s'ouvrir et esquisser un sourire au vu du succès de la performance, c'est touchant. Une belle manière de donner la parole à une génération dont la mémoire a été longtemps confisquée par l'histoire officielle en Pologne. Si la thématique peut paraître banale de ce côté de l'Europe, elle l'est beaucoup moins là-bas.

Le public moyen aurait juste apprécié que les écrans de surtitrage soient placés de telle sorte à ce qu'on puisse les suivre tout en gardant un oeil sur le centre de la scène, et non loin sur le côté... il aurait apprécié aussi que le metteur en scène manifeste plus d'intérêt pour ses questions et moins d'arrogance dans la rencontre d'après-spectacle!

Complément: critique belge ici, et sur la réception en Pologne, voir ici (en français). La pièce était invitée dans le cadre d'Europalia, qui chaque année fait venir à Bruxelles des spectacles, des expositions et des concerts des quatre coins de l'Europe.

EDIT 29/09/09: programmé à Paris dans le cadre du Festival d'Automne, du 5 au 7 novembre 2009! Infos ici

4 commentaires:

Anonyme a dit…

J'aime bien ce style de spectacle... tu crois que ça passera à Paris ?

tiusha a dit…

rien n'est moins sûr... le spectacle a déjà 1 an et demi, ils ont juste tourné dans une poignée de villes allemandes et polonaises, c'est la première représentation à l'étranger. Pas prévu pour l'instant en tout cas.

en fait ça n'a pas du tout été crée dans la perspective d'une tournée, et je crois qu'ils sont un peu bloqués par la disponibilité des acteurs dont ce n'est pas le premier métier!

Anonyme a dit…

Ca semble un peu particulier, je ne sais pas si je n'aurais pas l'impression de gêner, surtout si les "comédiens" ne semblent pas à l'aise... :/

M.

tiusha a dit…

pourquoi? s'ils sont là c'est qu'ils sont heureux de partager leurs histoires avec le public. Même s'ils manquent parfois un peu de présence sur scène, en dépit d'un gros travail de préparation.