mercredi 21 mai 2008

Souvenir d'un été studieux en Italie

"C'est une nuit de conte, ami lecteur, une de ces nuits qui ne peuvent guère survenir que dans notre jeunesse. Le ciel était si étoilé, le ciel était si clair que lorsque vous leviez les yeux vers lui vous ne pouviez, sans même le vouloir, que vous demander: Est-il possible que, sous un ciel pareil, vivent toutes sortes de gens méchants et capricieux? (...) Dès le matin, je m'étais senti rongé par une sorte de trouble surprenant. Il me sembla soudain que moi, le solitaire, ils m'abandonnaient tous, oui, tous se détournaient de moi. Ici, certes, chacun est en droit de poser une question: qui sont-ils donc, ces "tous"? parce que voici huit ans que j'habite à Petersbourg et que je n'ai su m'y faire presque aucune relation. Mais qu'ai-je à faire de ces relations? Je connais déjà tout Petersbourg; voilà pourquoi j'eus l'impression qu'ils m'abandonnaient tous quand Petersbourg, comme un seul homme, se leva tout entier pour gagner brusquement ses maisons de campagne. Je fus pris de frayeur à l'idée de rester seul, et j'errai dans la ville, trois jours durant, dans un trouble profond, sans rien comprendre à ce qui m'arrivait. Allais-je sur le Nevski, allais-je au Jardin, errais-je le long des quais - aucun de ces visages que j'avais coutume de retrouver au même endroit, à telle heure, toute l'année. Ils ne me connaissent pas, bien sûr, mais moi, je les connais. Je les connais de près; j'ai presque fait l'étude de leurs expressions - je les admire quand ils sont gais, je me sens triste quand ils s'embrument. Je suis devenu presque un ami du petit vieux que je rencontre, chaque jour que Dieu fait, à une heure précise, sur la Fontanka. Une expression fort grave, méditative; il grommelle toujours dans sa barbe et agite le bras gauche, tout en tenant dans la main droite une longue canne noueuse à pommeau doré. Même, il m'a remarqué, et je crois que nos âmes se répondent. Si, par exemple, je ne venais pas, à l'heure précise, à cet endroit de la Fontanka, je suis persuadé qu'il se sentirait triste."

F. Dostoïevski, Les nuits blanches.


J'ai lu ces mots et je m'y revois parfaitement.
Pourtant il s'agit de la première page d'un court roman russe.
Troublant.

Etes-vous déjà tombé sur une page de roman qui évoque très précisément une situation vécue, des émotions éprouvées, décrite avec des mots qui auraient pu être les vôtres mais que vous auriez été incapable de trouver? C'est une impression assez étrange, d'autant plus que le contexte n'a rien à voir, à des milliers de kilomètres et près d'un siècle et demi d'écart.

Du coup je suis restée bloquée sur la première page depuis plusieurs jours...

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Très beau texte... qui me donne envie de me pencher un peu plus sur son auteur...

Il m'est arrivé une fois de me reconnaitre dans un livre : c'était "Je l'aimais" de Gavalda... Je me suis retrouvée autant dans le personnage de la belle-fille que du grand-père. Aussi paradoxal que cela puisse paraitre, j'ai ressenti les mêmes choses que l'un et l'autre...

Faust'in a dit…

Oui, je me souviens d'un ressenti de la sorte, mais je ne me souviens plus de quel bouquin ça venait ...

Anonyme a dit…

Ce qui m'arrive plus souvent, c'est de lire un truc que j'aurais vraiment aimé écrire. Pas un roman en entier, mais un court passage ou une chronique (celles de la Haine Ordinaire, par exemple... plus récemment des passages d'un livre de Dominique Noguez... certains bouts de romans de Coe ou McCauley... je pourrais multiplier les exemples). Généralement, ce sont des bouts de réflexions sur des sujets qui me touchent (me font rire, m'énervent etc).

Anonyme a dit…

Ca m'est arrivé plusieurs fois, parfois , encore pluss troublant, avec quelque chose que je vivais au même moment. Désolé, je n'ai pas d'exemple en tête.

Piste Scrotum : J'ai beaucoup lu Dosto (au bout d'un moment il m'est devenu familier alors je l'appelle Dosto), mias je n'ai pas lu celui-ci.

Anonyme a dit…

Pas seulement dans une scène mais dans un live entier oui. Ce livre est d'ailleurs à l'origine de mon blog (enfin je me comprends)
http://espace-prive.over-blog.com/article-1096760.html

nj a dit…

ca m'arrive tres souvent en fait, et parfois je me demande même si je ne devrais pas écrire moi même le bouquin^^